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Tombe la lune au fil des mots
4 octobre 2010

A louer chambre avec cheminée, parquet et tasses

Quand j'ai l'âme à l'ouest, le coeur au sud et l'esprit ailleurs, je me sens, vous pouvez en convenir, un brin écartelée. Un recentrage essentiel est alors nécessaire. Il fut un temps où une station plus ou moins prolongée assise en tailleur sur un parquet devant une cheminée (allumée, s'il-vous-plaît, la cheminée) une tasse de thé entre les mains, permettait à mon coeur et à mon âme de rejoindre la partie vivante de mon essence. Mais depuis que la propriétaire des tasses a pour son plus grand bonheur (et une réelle joie pour moi, je le jure!) trouvé une route à sa convenance ailleurs, je me vois assez mal aller squatter chez les nouveaux locataires. Car enfin, ce n'était pas le parquet, ni les tasses que j'allais chercher, vous le devinez.

C'est fou à quel point quelqu'un peut "habiter" un endroit. Je veux dire, le faire exister, rayonner et vivre. Quand la personne s'en va, c'est comme si l'âme de l'endroit s'était enfuie avec elle. Je me souviens de la première fois où je suis retournée dans la maison de mes parents après le décès de ma Maman. J'avais le sourire, persuadée de retrouver d'elle sa lumière dans ces murs que j'aime tant. Je suis entrée et me suis heurtée au vide et au froid. Et depuis cette maison est sans couleur. Pour de vrai, elle est grise et sans charme. Quand Maman était là, c'était elle qui lui donnait sa vie. A son départ, mon père n'a pas su continuer. 

Je me demande parfois ce qu'il restera de moi quand je m'en irai. Cette question égoïste me fait paradoxalement du bien et me permet d'avancer. Car en découvrant, sur leur lit d'agonie, les différents visages d'êtres que j'avais côtoyés longuement, alors que je n'avais connu qu'un seul un côté de leur personnalité, je me suis aperçue combien j'ai peur que mes enfants ne me connaissent que quand j'aurai un dentier. Je veux qu'ils sachent de moi qui je suis vraiment à l'heure où ils sont encore capable d'apprécier la non-alzheimérisée que je suis. Car si Aloïs veut b ien m'en laisser le temps, je voudrais qu'ils sachent des petits bouts de moi.  Que j'aime écrire, par exemple. Que j'aime l'automne, que j'aime mes amis, que je les aime, eux, si fort. Que j'aime rire et la vie, que j'ai aimé leur père suffisamment longtemps pour qu'ils viennent au monde, et que je cherche au fonds de moi à devenir, à être, à connaître, à m'assagir. A devenir une vieille dame heureuse comme je l'ai dit un jour.

Mais raconter tout cela à mes loulous est impossible. Et ils ne voient de moi que celle qui cadre, qui fait faire les devoirs, qui appelle pour le repas, qui dit non pour les bonbons et les frites, qui presse pour aller au lit, qui pleure parfois. Ils ne savent pas combien j'aime le vent d'été dans mes cheveux, l'odeur du foin quand j'ouvre mes fenêtres le matin, le bruit des feuilles mortes sous mes pas, le son des cloches qui carillonnent, la sarabande en D mineur de Haendel, les enfoirés qui chantent pour les restos, avoir un bébé dans mes bras, manger des crèpes, caresser les chats, enseigner, rire, chanter même faux, me laisser porter par la musique ou passer du temps à rêver.

Sauront-ils un jour combien  avoir vu mon ventre s'arrondir sous leur existence a été merveilleux même si le contexte dans lequel je vivais ne l'était guère, sauront-ils combien les sentir bouger en moi et nicher leurs corps sous ma main a été des moments de grâce? Sauront-ils tout ce que j'ai consenti pour eux, sans broncher et combien les choix furent difficiles? Sauront-ils que ces choix, je les ai fait en fonction d'eux avant tout? Comprendront-ils un jour combien mon coeur est grand d'eux et combien il grandit par eux chaque jour? 

Et comprendront-ils combien j'aime le métier que j'exerce, même difficile, même contraignant? Pardonneront-ils un jour ces heures passées à gérer les enfants d'autrui à leur presque détriment? Qu'imaginent-ils de mes passions, de mes vécus, de mes joies, de mes chagrins. Comprennent-ils le plaisir que j'ai à rendre ce service à telle personne et à le refuser à telle autre? Pourquoi mon sourire s'illumine et se cache peu après? 

Qui sommes-nous face à nos enfants? Quelle image leur donnons-nous, je veux dire:quelle image essentielle de nous, tels que nous sommes vraiment ont-ils de nous? J'ai croisé un jour un de mes collègues en présence de mon fils. Après quelques plaisanteries nous nous sommes salués, quittés et mon bambin, du haut de ses huit ans, m'a dit:" Maman, je ne t'ai pas reconnue. On aurait dit quelqu'un d'autre... Tu es comme ça à l'école? Qu'est ce que j'aimerais venir travailler avec toi....." 

Grâce à mes enfants,  je pourrais accueillir le monde, ou presque.

Reste juste à m'accueillir moi-même....

http://www.youtube.com/watch?v=erKsIJyfB_Q

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Commentaires
M
Félicitations ma chère, tu as fait un sacre bout de chemin et tu es dans la bonne direction. Les enfants comprennent très bien ce que tu leurs dis ou tu racontes mais ce sera dans quelques années qu'ils vont te dire: Maman, tu te rappelles quant ..... Tu sais j'ai passé par là mais je ne me sens pas encore comme une vieille dame. J'avais un sourire en lisant ton beau texte. C'est vraiment cela, la vie!
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