je suis une conne qui marche. Vous saviez pas? Ben lisez!
Mes pieds ont tapé le sol devant la maison. La neige collée à mes chaussures est tombée en cascade autour de moi et j'ai secoué mon écharpe et ma veste. Mes gants, trempés, ont échoué sur la plaque du fourneau et j'ai retiré avec bonheur mes pieds de leur carcan. J'ai foncé à la salle de bain passer mes "habits de maison", allumé le feu et mis de la musique. Claudio Baglioni pour ne pas le citer. Pas écouté depuis longtemps. Trop triste. Je l'ai viré. J'ai mis André-Daniel Meylan et sa bonne humeur.
La machine à café avait fini de clignoter, je me suis fait un cappuccino et, la tasse à la main, je me suis mise à regarder dehors. J'ai repoussé un peu le voilage. La neige qui tombait, donnait à ma cuisine une clarté improbable à cette heure de la journée. Des rangées de flocons glissaient comme des soldats chargés de recouvrir le sol de ma rue de leurs rangs serrés, aussi serrés que mon coeur.
Trois gorgées plus tard, le vent s'était levé et la neige des toits voltigeait en tourbillons duveteux. Il n'y avait plus que l'innocence d'un velours scintillant qui recouvrait jusqu'à la poignée de la porte de l'immeuble d'en face. J'ai laissé retomber le rideau, me suis retournée et me suis assise sur le rebord de la fenêtre. Le regard et l'âme dans le vague. Le chat s'est frotté à mes pieds croisés. Il a miaulé en plissant les yeux. J'avais bu mon café. La tasse vide a fini dans l'évier et le soupir qui a envahi alors ma poitrine semblait souffler dans le village entier. Comme si les volutes des neiges qui emportaient les flocons au loin venaient du plus profond de mes entrailles.
Car, en somme, je me sens entamée, aussi vide que ma tasse, aussi soufflée que ces volutes. Comme s'il l'on avait mangé un morceau de moi. Je ne comprends pas qu'on puisse fonder un établissement comme le nôtre sans prendre si peu compte de l'Etre Humain. Comment excuser le comportement de quelqu'un qui vend sa soupe sans jamais ni la fabriquer ni la consommer au travers de son caractère?!?!? C'est comme quelqu'un qui se dirait convaincu par le végétarisme et qui mangerait de la viande à outrance et qu'on excuserait parce qu'il est renfermé..... Mais là n'est pas le propos. Mais là n'est plus le propos.
Je n'ai pas trouvé dans les réponses qu'on a bien voulu me jeter, comme on lance un vieil os à un chien galeux, le chemin que je cherchais. On fait de moi une aveugle, une crétine qui continue vaille que vaille. Et même si Audiard disait qu'un intellectuel assis ira toujours moins loin qu'un con qui marche, la conne la trouve bien amère, sa route.
Est-ce que l'éclairage dont j'ai besoin n'est pas celui auquel j'ai accès ou auquel j'ai droit? Est-ce que demain on voudra bien m'expliquer un peu mieux ces réponses si énigmatiques qu'on a bien choisi de me donner? Est-ce que quelqu'un les a ces réponses, au moins? Et surtout ces petits bouts de raisonnements perdus seront-ils d'actualité, encore, quand un jour, moi, je voudrai les faire valoir? Est-ce qu'on excusera mon caractère? L'a-t-on déjà fait? Est-ce pour cela que je suis encore là? Ont-ils eu pitié de mon "innocente naïveté"? Savent-ils au moins que j'étais vraiment prête à tout et que mes mots ne furent pas vains? Ont-ils compris que je pouvais être capable de militer s'il le fallait, et de tenir, jusqu'à la fin? En m'opposant sans crainte apparente? Savent-ils qu'en vrai j'ai crevé de trouille, et que j'estime en cela mon geste plus précieux, puisque plus coûteux en courage?
Mais la chose que peu sauront, c'est que je reste à jamais marquée par ces heures. Il me faudra longtemps pour prendre ma plac e , celle que l'on m'accorde, mais celle que je m'accorde désormais. Car il me faudra du temps pour que glisse sur moi "l'innocence d'un velours scintillant".....