Bof
Bien sûr, clairement qu'ils ont raison. Naturellement que c'est moi qui ai tort. Suis-je bête, enfin. Ils sont dans ces grandes maisons pleines de sciences, pouvoir, de connaissances, de gens qui bien bas se prosternent devant leur savoir. Et ils se gargarisent de phrases et de mots tournés que je ne comprends parfois même plus. Et quand certains d'entre eux condescendent à bien vouloir dispenser un peu de leur bagage, ils vous font bien sentir, pour certains d'entre eux, tout l'ampleur de votre petitesse. D'autres viennent et se souvenant de leur passé, amènent leur humilité en même temps que leur expérience.
Bref. Un de ceux-là, rencontré au hasard de la fin d'une formation qu'il donnait et que je n'avais pas voulu suivre reconnaissant l'animal à son nom, m'a demandé comment je commençais mes années scolaires. En confiance (il fait tout-de-même partie de la grande maison des Hauts Enseignants Présomptueux) je lui raconte que je ne travaille bien que dans le lien, que je passe du temps à le construire et que plus tard dans l'année je ne souffre que de peu de difficultés, galvanisée de part et d'autre, par la confiance et la complicité qui règne souvent dans mes cours, à de rares exceptions près.
"Le lien? A-t-il dit dédaigneux. Vous perdez encore du temps avec ces fadaises? Des études américaines ont prouvé que..."
Et là, je me suis vue, puissante, claire, forte et volontaire. J'ai interrompu et répondu à peu près la chose suivante.
"Monsieur, j'ai un avantage sur vous, c'est que je me souviens encore de mes années d'école où j'ai souffert tant et plus. Peut-être que je tente de réparer quelque chose en enseignant aujourd'hui, mais ce n'est pas le propos. Mais mes années d'école, contrairement aux vôtres, ne sont pas si loin. Je n'ai très certainement pas votre bagage intellectuel, mais j'ai la force de mes croyances et de mon expérience de vie et d'enseignement sur le terrain. Je peux partir au fin fond de la forêt amazonienne avec mes élèves, Monsieur, et ils me suivront en confiance. Tous. Avec le sourire parce que je les fais marrer et que je n'ai presque jamais besoin de punir et de crier. En 34 semaines, Monsieur, je n'ai donné que 2 heures d'arrêt et je n'ai envoyé qu'une fois un élève au décanat. Grâce au lien.
Alors, tout passe, tout lasse, les modes s'en vont. Les vérités restent, et ma vérité est de créer quelque chose avec mes élèves. J'ai de l'affection pour eux, même si ce n'est pas HEPien. Je n'y aurais pas de bonnes notes. Tant pis."
Il a souri et a répondu qu'au moins j'avais la force de mes convictions.
Bof. Je ne suis même pas fière.