Mon beau miroir
Attablée depuis un bon quart d'heure, je ne me laissai pas envahir par le brouhaha des tasses entrechoquées qui eut pu troubler mon stylo. J'avais trouvé refuge avant un rendez-vous à cette petite table dont je devais bloquer un pied avec le mien pour ne pas qu'elle vacille. Après trois tentatives infructueuses le-dit stylo avait enfin réussi à rouler jusqu'au sol, je finis par voir rouge et caler mon menton entre mes mains réunies pour observer le monde qui m'entourait.
Immédiatement, elle titilla mon coin d'oeil. Ce n'est pas que soudainement je me sente émue par certaines Damoiselles de mon bord, mais elle avait une attitude qui forçait le regard. Elle s'assit en face du grand miroir, chose que je ne fais jamais, et d'un geste ample jeta sa cape en arrière. Le vêtement tomba au bord du fauteuil comme au ralenti et satisfaite, elle attendit.
Quand le serveur arriva, elle murmura sa commande d'un air entendu, et il repartit le plateau léger et le pas dansant. J'avais l'impression de vivre dans un film d'Autant-Lara. Elle sortit de son sac de quoi se remaquiller et son regard croisa le mien au fin fond de la glace piquetée. Je plongeai dans ma tasse. Elle était vide. .... elle était vide... Mes yeux aimantés à cette cavalière se posèrent à nouveau sur le miroir, juste à temps pour capter cette expression de suffisance, de complaisance et d'autosatisfaction qu'elle se jeta à elle-même en contemplant son reflet. Mon Dieu, qu'elle se trouvait belle! Et pourtant.... Rien de bien ban extraodinaire... De beaux yeux, oui, ça, deux. Un nez normal, des cheveux filasses mal coiffés mais propres, des vêtements quelconques... Objectivement, elle était normale, quoi, sans plus. Ni moins, mais avec une conscience d'elle-même qui frisait l'indécence .... pour autrui. Car elle, en vrai, se trouvait belle, le montrait et le vivait.
Et moi, je l'ai enviée... Car jamais, jamais, je n'ai eu un tel regard pour moi-même dans un miroir quel qu'il soit....